Retour sur la piste

À 10h je quitte mes amis pour rejoindre l’EV6 à Chalon sur Saône ; je commence la descente par 30mn de pluie froide. J’avance à bonne allure et traverse des villages endormis ou des pâturages.

Troupeau de vaches sur les pentes du Morvan.

J’arrive, après une bonne grimpette à Nolay oú je déjeune et visite la halle du 14ème.

La halle de Nolay
Le toit est en pierres de lave et pèse 800kg au m2; d’oú la charpente de chataigner

La boulangère m’a signalé l’existence d’une voie verte au départ du bourg. Elle est royale avec une légère pente favorable ; j’atteins Santenay à bonne allure. Elle est située sur la ligne de collines qui rejoint Dijon à Baune. Je passe donc tout prêt de Meursault, Chassagne Montrachet; il faudra revenir.

Vignobles de Bourgogne

Santenay est sur le canal du Centre qui me mène à Chalon où je me perd mais ai le temps de voir qu’il s’agit d’une ville agréable avec un centre historique animé.

Je reprends l’EV6 pour arriver à Verdun sur le Doubs au camping municipal en bord de Saône.

Confluence de la Saône et du Doubs à Verdun

En Côtes d’or

De bon matin j’avance vers Vitteaux qui possède de belles maisons à colombages, défigurée par la circulation, et une belle église.  Au lieu de prendre la D905 vers Sombernom je décide de prendre à gauche, par les coteaux.  Je paye dès le départ cette décision courageuse (!) car la route est droite mais la pente est raide.  Arrivé sur la route de crête, par contre, je me promène parmi les pâturages, champs de blés et les éoliennes. 

A 13h je suis au gîte ; à 14h je dors; à 18h les suivants de l’équipe arrivent.  Tiens, ils ont oublié mon sac ! C’est leur problème, à eux de supporter les odeurs. 

Les landes me plaisent. Leur fleur d’indigence est la seule qui ne se soit pas fanée à ma boutonnière (Chateaubriand)

Fin de la première partie 

Certains ont remarqué que la route pour Constanta ne passe pas par le Morvan et, j’ai peut être oublié de le dire, cette semaine j’ai VTT. Eh oui mes bons lecteurs, s’il est une tradition bien établie à laquelle j’entends bien sacrifier tous les ans c’est bien cette semaine de VTT du mois de mai.  Elle va me prendre quelques forces mais je vais me payer une « bonne tranche d’amitié  » qui compensera. 

Ce bulletin quotidien s’interrompt donc jusqu’au samedi 27.

Une journée à flâner

Aujourd’hui sera une petite journée de vélo. 100 km de Vézelay à Savigny, je vais prendre mon temps. La nuit a été fraîche; à 10h Messire frère soleil (F d’Assise) est déjà haut mais le fond de l’air est frais.

Chevet de la basilique à 10h

Je commence cette journée plaisir dans un paysage de collines. La route est une succession de descentes rapides et de montées abruptes que je monte avec un 17 dents, tranquille Mimile. Un dernier coup d’oeil sur la colline éternelle qui disparaît pour de bon.

Les derniers arpents de vigne ont disparu avec Vézelay; les collines sont couvertes des mêmes parcelles de blé d’un vert dur, de seigle d’un vert plus tendre et de petits pois argentés. Des bosquets ça et là, plus ou moins sombres, donnent un peu de relief. Les seuls humains que j’aperçois sont au volant d’une voiture. Le revêtement est de qualité et la circulation suffisamment faible pour ne pas être gênante.

Ail des ours sur le bord du chemin

Je dévale une succession de collines sur 3km sans avoir besoin de donner un coup de pédale jusqu’à Pontaubert, ancien siège des chevaliers de l’ordre de St Jean de Jérusalem. Certains des 33 panneaux électoraux commencent à se couvrir d’affiches. Je fais un arrêt pour les parcourir, le clocher sonne 12 coups, j’ai fait 15 km. Sur le fronton dune « boîte à lire » je lis cette magnifique citation d’Arlette Laguiller « la lecture, une bonne façon de s’enrichir sans voler personne ». « La voix de l’insoumission, ma personne est sacrée »; non ça il ne l’a pas écrit. « Envie d’Europe », « le courage de défendre »; difficile de faire mieux en 40 caractères. Pour moi, l’affiche d’Urgence Écologie a le plus d’impact.

Je m’arrête pour déjeuner dans le parc Vauban (grand homme de la région) à Avallon. Le parc est ombragé par des grands tilleuls; avec le poète je me dis « là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté » ou, pour être plus prosaïque « c’est le pied ».

La statue de Vauban à Avallon

Je repart par la D606; les premiers kilomètres sont pénibles, d’énormes 35T qui rugissent en me dépassant, je sent que je dérange. A Cussy je décide de me dérouter vers St Léger Vauban qui a un musée dédié au grand homme. Et soudain, ceci en travers de la route.

Hure de sanglier, membres d’animaux divers

C’est une des circonstances où la phrase inoubliable de Fernand de Montauban s’impose. Pas d’autres commentaires.

Je m’arrête à St Léger, le musée est ouvert pour moi tout seul; il retrace fidèlement la vie de V, fortifications, humaniste, précurseur des encyclopédistes.

J’avance encore un peu dans la campagne avant de planter ma tente dans un champ de genêts.

Une bonne partie de manivelle

À 14h30, régénéré, les jambes légères, la panse distendue, je repars. Donnery, 2000 âmes, parmi les champs d’orge et sous vidéo surveillance.  Jargeau rive gauche. Le vent est aussi fort qu’hier mais la route a obliqué; il est bâbord amure donc favorable.  La piste sur la levée est agréable; mais parfois on descend.

La route est un long ruban qui défile…

Chateauneuf rive droite. Je traverse des villages endormis au milieu de blés ondoyants. Le vent de face d’hier donnait des semelles de plomb et était assourdissant. Le vent de dos aujourd’hui donne des ailes et le silence est total. Je suis en lévitation.  St Benoît ; je ne m’y arrête pas, dommage. J’arrive à Sully à 17:15; je sais que, dans ce genre d’exercice, le rythme cardiaque monte dans des zones dangereuses ; je décide donc de traverser la ville à pied. Le château est beau et renommé pour sa charpente d’époque. En recherchant la piste je rencontre 10 piétons et 500 voitures en transit.  Fuyons ! 

Quel chouette camping ! Dommage qu’il ne soit que 17h; c’est trop tôt pour moi

Le revêtement est toujours excellent ; on quitte la levée pour rentrer dans la campagne.  Après plusieurs kilomètres je suis perdu.  Je me dirige vers Gien. Personne dehors dans les villages, pas âme qui vive ; le soleil est encore haut ; peut être regardent ils « Plus belle la vie « . Je pense à cette expression de Kauffman « les villages démeublés ».

Gien vue de la rive gauche

A Gien je retrouve la piste mais la reperd rapidement ; mon ombre s’allonge sur la route devant moi; je vais donc plein Est, c’est ce qui compte. 

A 5km avant Briare je cherche un coin pour planter ma tente. Il est 19h30 et j’ai du rouler 80km. 

Qui n’échangerait pas sa place pour la mienne ?
Les blés d’or

De Chaumont à Mardié

Je quitte Chaumont à 8h laissant mon compagnon de route pensif au bord de la Loire ; il doit prendre le train à Orléans le lendemain pour les brumes du Nord ; peut être jusqu’au Danemark me dit-il. 

Pont sur la Loire

Je commence par me perdre dans la campagne, défaut de signalisation ou défaut d’attention. J’arrive à Blois par la grand route en pleine heure de pointe; je retrouve un environnement oublié depuis 10 jours. Après le pont je trouve à droite sur une allée de cerisiers qui mène vers le fleuve  et le bruit s’estompe rapidement. A nouveau seul.  Un peu plus loin j’avise un banc et une pelouse ; il n’est que 11h45, qu’à cela ne tienne, l’avocat est loin. Je m’installe et ouvre une boîte de sardines à l’ancienne, marque le Connétable, les meilleures.  

La Loire, libre et sauvage, remodèle sans cesse son lit et ses paysages

La piste file entre des rangées de feuillus qui cachent la Loire, puis directement sur la berge ; le vent n’est pas de mon bord aujourd’hui , il frisotte la surface du fleuve.  Je pédale à un bon rythme.

La piste continue sur la levée ; j’aperçois au loin les tours d’une centrale nucléaire puis les contourne, silencieuses, massives, menaçantes. Dans les mares, au bas de la levée, les grenouilles coassent. 

Un champ de lin devant la centrale, tradition et modernité

Avant d’arriver à Orléans la piste est bordée d’accacias en fleurs. Je rencontre un couple qui va aussi vers la mer Noire mais eux prennent leur temps ; arrivée prévue fin août. Ils ont une drôle de machine ; elle, allongée dans un fauteuil à l’avant, pédale et lit la carte, lui derrière sur la selle conduit. Ils vont plus vite que moi ; je prends leur roue sur 10km; enfin un peu de repos après une journée vent de face. 

Sur l’autre berge

L’entrée dans la ville est sans charme. Je ne vois rien de la ville si  ce n’est l’esplanade face à la Loire.  Je rencontre un couple de Landerneau qui lui aussi va à Constanta et compte arriver fin juillet ; on devrait se revoir.  

Je longe le canal qui mène à Mardié; je rencontre un vieux cyclo qui va dans la même direction ; il me dit de prendre sa roue; mais il va vite le bougre, je serre les dents, jette mes dernières forces, sent l’acide lactique me brûler les jambes.  A Checy je demande à une jeune femme « C’est encore loin Mardié? » « 10km environ « ; devant ma moue elle concède  » Allez, 7″. Nous continuons sur le halage; 3 km plus loin nous y sommes.  Ah les femmes !

Mon poisson pilote me dépose à 50m de ma destination ; entre temps il m’aura fait part de ses origines bretonnes, parentèle à Guipavas, au Conquet. La solidarité cycliste, encore une fois, a joué à fond.  Merci l’ami. 

Voyage accompagné

Au camping je trouve un couple de Plogonnec; nous échangeons quelques souvenirs du pays. Mon acolyte me propose de faire la route ensemble ; pour me montrer sa confiance il me donne son 06 que je classe à la lettre E pour El Desdichado. Comme nous ne roulons pas à la même allure, nous ferons des bouts de route ensemble et d’autres seul. Nous nous arrêtons brièvement chez le vélociste de Bréhémont qui est de bon conseil.

Le vélociste de Bréhémont à droite et mon acolyte à gauche

Nous laissons Langeais, Villandry qui mériteraient la visite et arrivons au confluent du Cher et de la Loire ; le chemin nous amène le long du Cher.  Nous passons par un secteur pavé ; ce n’est pas la trouée d’Arenberg mais je ralentis car je n’aime pas le tappement du timon de la chariote sur le moyeux de la roue arrière. 

A Savonnière je discute avec un pêcheur ; les poissons qu’on voit dans l’eau sont des mulets qui sont remontés de l’Atlantique ; lui c’est la sandre qui l’intéresse mais il y a aussi des silures; depuis le début de l’année on y a pêché 10 de plus de 2m. 

Nous avons perdu la piste et nous prenons le chemin des écoliers pour rejoindre la rive gauche de la Loire ; le chemin passe au milieu de champs d’orge, de colza.  Comme la signalisation pour les vélos est vague, nous prenons d’autorité la D88 sur la levée avec la Loire sur notre gauche ; cette route semble réservée à la noblesse à 4 roues.

La Loire, toujours aussi belle quelque soit le temps

Nous arrivons ainsi à Tours que nous traversons sans rien voir; le clocher sonne 12h.

J’écoute distraitement le doux babil de mon compagnon de route que je ponctue de « ouais ; pour sur ; c’est vrai ça « . Il fait très beau et il me dit : « aujourd’hui j’ai enlevé le bas »; et je me dis « Demain tu enlèves le haut  » par allusion à la pub célèbre des années 90.

Nous sommes sur une piste pour Amboise bordée de platane, sureaux, acacia. Séparés à nouveau, la piste m’impose un détour par Montlouis avec une montée ; l’idée germe d’en profiter pour acheter un gâteau ; il est plus d’une heure, j’aperçois une pancarte Festival et m’y précipite pour lire « fermeture exceptionnelle dimanche 12 mai »; la peste soit des Montlou… quand j’avise une autre boulangerie et le boulanger, à l’intérieur, qui range sa marchandise ; j’ai juste le temps d’acheter deux gâteaux et une baguette Montlouisaise. Nous avions Rdv à Amboise mais je décide de picniquer sous un arbre au milieu des vignes.  

La vie est belle

Je suis à Amboise à 14h30 devant le château.  C’est la foule des grands jours. D’abord amener les bêtes à boire, enfin, la bête car elle est assoiffée ; à la TV du bar un homme parle ; au bas de l’écran c’est écrit « F Berrou »; c’est qui?

Je regarde alentour, cherche el Desdichado, personne. J’appelle. Lui, au lieu de ne penser qu’à lui , est passé par le marché oú il a acheté 3 beaux avocats ; il m’en offrira un. Comme je lui demande la relation qu’il y a entre Amboise et Anne de Bretagne, il me répond « oh, tu sais, moi et la politique « .

Nous reprenons la route, roulante, sans charme, jusqu’à Mosnes oú nous retrouvons la piste et la Loire.  A Chaumont je tombe en arrêt devant le camping municipal face à la Loire. Il n’est que 16h30, le soleil est haut mais je n’hésite même pas ; on s’arrête. Ce sera 15km de plus demain. Le soir nous allons manger une pizza bolognaise pour les glucides et les protéines.

Au bord de la Loire

De Rochefort à Bréhémont

Ce matin, après une bonne nuit au paradis, j’engloutis vite fait bien fait un pain au chocolat et une patte d’ours et je m’envole.  La pluie c’était de 6 à 7h, maintenant le ciel est plombé mais il fait sec. Je reprends mon pèlerinage.  En repassant par Savenière, Bouchemaine (quel joli nom), le parc de Balzac où des ornithologique observent des hérons, le château du roi René qui contient une magnifique tapisserie du Jugement Dernier. Je demande à un quidam « C’est bien là la Loire ? », « Ah non, ça c’est le Maine; la Loire est à 8km mais c’est tout droit « ; et je monte donc le raidillon au pied du château en me faisant dépasser par des tricheurs en VAE. « Tiens, le Flixbus Quimper Paris qui me passe sous le nez; si j’aurais su j’aurais venu comme ça « . Je longe le stade Raymond Kopa qui fit les beaux jours du SCO. Trélazé, toujours pas de Loire ; je poursuis la route qui est  » un long ruban qui défile qui défile, et se perd à l’infini loin des villes loin des villes  » (F Lemarque). 

Courte panique 

Je traverse un village à forte concentration de gilets jaunes sur le tableau de bord de Duster ou 4×4. Vite aux abris, une piste.  Ils me font peur ces types. La  première fois c’est quand ils ont voulu me racketter au bien nommé rond point de Troyalar (le nom original étant Troc’h yalac’h ou coupe-bourse). Mais de piste point, seul un radar hs et tagué. Là, enfin une table de picnic sur le bord de la Loire que j’ai enfin retrouvée.  Il n’est qu’11h mais je vais faire une pause.

Vue sur la Loire

Je poursuis ; St Mathurin et ses belles façades en tuffeau; on veut que je retraverse la Loire ? Et bien soit, je le fais en bon garçon et enfin la piste; ouf! Je file plein Est, un bon 12 noeuds, vent arrière.  Je rentre à Thoureil « Petite cité de caractère  » dit le panneau à l’entrée, à quoi j’ajoute illico  « et qui entend le rester « . Tiens, des bancs face à la Loire ; il est 12:30, je m’arrête.  Cette nuit un visiteur à 4 pattes m’a chippé mon jambon. C’était du premier choix. Ce matin je n’en ai retrouvé que du supérieur ; ça fera l’affaire. Tiens la pluie, il est temps de lever le camp.  Lecteur, tu auras remarqué ma réaction ; j’aurais pu dire « flûte, c’est râpé pour ma sieste « . Crois moi, la positive attitude est un des secrets pour réussir le grand voyage. 

Le vent s’est levé ; je file maintenant un bon 13 noeuds. J’arrive à Gennes ; comme il n’y a pas de plaisir je ne m’attarde pas. Juste le temps de lire un panneau qui dit « Angers 45km »; dis donc, j’ai bien marché ce matin. Je traverse la campagne oú les champs de seigle le disputent aux champs de patates. 

Horticulture sur les bords de Loire

Je continue bon train ; une petite voix intérieure me dit « lève le pied « ; elle a raison, j’obtempère. Je dois mettre mes lunettes de soleil que j’avais rangée depuis Carhaix.  

A 14:45 Je rentre dans Saumur. A la louche, j’ai du faire 85km. J’avise un DAB, c’est l’occasion d’essayer ma carte N26 en faisant un retrait ; ça marche. Sur l’autre berge la péniche oú j’avais dormi l’an passé ; sur la butte le beau château restauré. Mais il y a trop de monde à Saumur, je file.

J’emprunte un petit sentier de terre à la Mireille ; bien sûr il y’a quelques flaques, il a plu récemment ; bien sûr ma moyenne tombe, et alors ?

Petit chemin après Saumur

Val Hulin et son fameux site troglodyte des pommes tapées.  Monsaureau dont je ne dirais rien, cherchez dans Google. Je rentre en Indre et Loire avant, 100 m plus loin, de franchir à pied le pont sur la Vienne.  

Je rencontre un camarade rouleur qui fait route vers la Belgique; on va rouler ensemble jusqu’à l’étape. Je perce auprès d’un petit ruisseau, moi qui avait pris soin de prendre des chambres increvables. Il va falloir que j’investisse dans des pneus Marathon. Quand je rentre au camping de Bréhémont le clocher sonne 7 coups. Rideau. 

Va jav ha me

Je fais connaissance avec la Loire

Je vais revenir d’un mot sur l’étape d’hier où le tragique l’a disputé au comique. Car il me reste un fond de bile qui n’est pas passé.

Première remarque de mauvaise foi. Apprend, cher aménageur de la DDE, que le routier sur le chemin n’est pas un être ordinaire. Il y a les jambes qui tournent inlassablement, machinalement.

Et il y a l’esprit qui a décroché, qui voyage dans des pays dont les esprits chagrins n’ont pas même l’idée. Jambes et têtes sont déconnectées. Un petit panneau riquiqui, caché dans les fourrés, n’est pas suffisant. Il faut un ensemble d’indices, de signes très visibles ou imperceptibles qui va permettre à la machine de prendre la bonne bifurcation sans que l’esprit ait à intervenir.

Deuxième remarque d’encore plus mauvaise foi. Chapeau bas pour la piste cyclable qui va de Chapelle à Nantes; c’est la crème de la crème. Mais pourquoi préciser sur le panneau « Nantes, 28mn » puis sur le suivant, atteint péniblement 10mn plus tard, « Nantes, 25mn ». Oh! Je vois clair dans votre jeu, j’ai compris le non dit qui est « Mais qu’est ce que tu fous? Bouge tes fesses, faignasse ». C’est pas chouette. Non, vraiment pas chouette.

Petite crise d’anglophobie

Je quitte le camping de Thouaré de bonne heure; c’est parti pour une séance de brumisation gratuite. Je prends le chemin qui borde la Loire, vraiment très bien fait; tantôt du goudron, tantôt un sentier bucolique.

Un petit sentier, qui sent la noisette.

Personne ne me double, ce qui veut dire que je mène une bonne allure. Par contre, je croise plein de cyclistes qui viennent dans l’autre sens. Des sujets de sa Gracieuse Majesté pour la plupart. l’Anglois est là; faut l’avouer, c’est lui qui a gagné la partie. Tout à l’heure j’ai croisé une « Boulongery-Patissery ». Fi! Non Môssieur le fabricant de mauvais pain, vous ne méritez pas le beau nom de boulonger, pardon de boulanger.

Même hier soir, mon crêpier breton, dans le camping, m’a parlé de son foude-treuque. C’est un peu court, jeune homme ! On pouvait dire… oh ! Dieu ! … bien des choses en somme… En variant le ton, —par exemple, tenez : populaire « viens becqueter une galette saucisse dans mon bus à bouffe »; moderne « venez déguster une galette reblochon dans ma crêperie mobile »; modeste « je sers des complètes dans ma carriole à crêpes ».

Le pire du pire c’est le journaleux de la radio nationale, payé avec nos impôts, qui fait le malin en nous infligeant ses anglicismes.

Dis, t’en souviens tu?

A partir de maintenant j’emprunte un circuit, déjà utilisé l’an dernier dans d’autres circonstances.

St Florent-le-vieil. J’y arrive par la promenade Julien Gracq (1910-2007), né natif de St Florent. Je m’arrête parfois pour lire des extraits des Lettrines sur un panneau. C’était, je crois, un familier d’Argol en Presqu’ile. Mais non, je ne monterai pas jusqu’à l’esplanade d’où l’on a une superbe vue sur la Loire. Car je sais, pour l’avoir fait l’an passé, qu’on y accède par un sacré raidard, traitre et cruel. Pour rendre homage au grand home je m’arrête à l’Hostellerie de la Gibelle mais « non Monsieur, le bar n’est pas encore ouvert, seulement le restaurant ». Bon, au moins j’aurais essayé. Topette St Florent (au revoir en patois local).

Montjean sur Loire où nous avions gité. Même qu’on était arrivé avant un gros orage. Ses statues métalliques sur la berge.

La café Lénine, juste avant Chalonnes. J’aurais voulu m’y arrêter pour déguster une bonne bière marxiste-léniniste mais il était réservé pour une soirée privée.

Le café Lénine

Après avoir traversé un pont pour la nième fois et ne plus savoir sur quelle rive je me trouve, j’avise une jolie cycliste et lui demande « C’est par où Rochefort? », « Par là, tout droit, à 4km environ ».

C’est quand qu’on arrive ? (ton geignard)

Au bout de 4km sous la pluie je demande à un pêcheur: « Rochefort, c’est encore loin? », « Environ 8km »… Ah! Les femmes!

A partir de là ça devient un pèlerinage expiatoire. La Possonière et ses jolies péniches. Pour monter au bourg je passe sur le 15 dents; ça tire encore trop. De rage je descends de machine.

A cet instant, une fulgurance. Cette expression que j’ai entendu tant de fois dans la bouche de V. mon filiot (si tu nous r’garde), entre Rosporden et Morlaix puis entre Morlaix et Chateaulin alors qu’il n’avait pas 6 ans. L’an passé pendant les 60km de la PLB alors qu’il n’avait pas 9 ans. Comment ai-je pu le soumettre à ça?

V. I feel your pain (Clinton). J’en suis à un tel point d’empatie que j’attends la main de papy qui va me pousser dans le dos. Mais papy est sur son vélo, ahanant, arquebouté sur les manivelles.

Soudain j’aperçois un panneau Rochefort; encore un pont, un dernier coup de jarret et j’arrive au camping Plages de Loire; pour moi, aujourd’hui, il s’appellera Paradis.

Ils ont même un restau. Je ne suis pas un grand fan de la néfaste-foude mais je sens que, ce soir, je vais dévorer un bon hambourgeois.

Expérience spirituelle

Ce soir je vais visiter la très belle église de Malestroit dédiée à St Marcel. Pour l’anecdote j’ai failli m’appeler Marcel. Ça s’est joué à quelques jours près. C’était le choix de mon parain prévu. Heureusement son bateau, qui revenait de Mauritanie, avait du retard, et l’affaire (le baptême) ne pouvait pas attendre; et voilà comment j’ai échappé à ce prénom.

Le cahier de doléances

Je rentre donc dans l’église pour allumer ma bougie promise lors de l’épisode de Mûr. En m’approchant du tronc j’aperçois un cahier de doléances. J’aime les feuilleter; à côté de nombreuses remarques banales et sans grand intérêt, il y a les prières, remerciements, injonctions de fidèles qui en disent long sur l’âme humaine. Je note par exemple:

« Vierge Marie, je te confie R. qui s’enfonce dans la dépression »; c’est sûrement une dame de la bourgeoisie, son écriture parfaite indique la bonne éducation.

Celle ci: « Seigneur, le monde s’écroule, aidez nous à tenir debout » m’impressionne; c’est un vieux monsieur, habitué à donner des ordres mais dépassé par le « progrès »

Celle ci: « Une pensée pour mon fils, qu’il trouve enfin la bonne personne pour être heureux » d’une mère inquiète

Celle ci: « Notre Dame de Pitié, aide mon frère JM dans sa maladie » écrite par une main qui ne tient jamais le stylo.

Pensée magique? Pas seulement; besoin naïf mais vrai de faire confiance. Pas de masque, pas de fioritures, en direct de l’âme.

J’ai lu récemment dans El Pais l’interview d’une sommité espagnole dans la biologie moléculaire; il disait « c’est pas Dieu qui a créé l’homme, c’est l’homme qui a créé Dieu ». J’avais trouvé ça tres vrai; parfaitement illustré ici.

Piéta à Malestroit

J’en suis là de mes réflexions, assis devant cette Piéta, quand une dame s’approche, gênée. Monsieur, nous allons fermer. Je me lève et l’aide à tourner la grosse clé du portail qui donne sur la place et je sors. Mais elle me suit à l’extérieur « Monsieur, pardon de vous avoir dérangé dans vos prières; vous savez que vous pouvez aller le faire dans la petite église là bas, les soeurs y organisent les prières ».

Le bug

Oui j’ai vu que les photos sont cul par dessus tête; c’est fâcheux mais « c’est la faute à l’informatique ». Tout seul, avec mes modestes moyens, je ne vois pas de solutions immédiates. Vous en serez donc quitte pour un torticolis; c’est là que je verrai qui sont les vrais fidèles.

Une grosse journée

Cette nuit il a fait froid, très froid. En me levant ce matin j’ai vu une fine couche de glace sur la tente. A deux pas le canal fume.

En sautillant pour combattre le froid je prends un solide petit déjeuner amoureusement prévu par ma bonne ame. Et je démarre à bonne allure avec le soleil dans le dos. Comme c’est bizarre, je pars pourtant vers l’est et la route est plutôt droite avec, de temps en temps, un léger virage. Tiens, maintenant il est à ma droite et 500m plus loin à ma gauche. Tout s’explique en regardant la carte; l’Aulne à cet endroit fait des tours et des détours qui font qu’un kilomètre à vol d’oiseau en vaut trois en suivant le chemin.

Pause café à Pont Triffen; le cafetier se demande ce qu’il fait là, lui l’homme du sud; j’essaie de lui montrer que mars a été beau et avril pas mal du tout mais il ne veut rien entendre; chez lui, à cette époque, il avait déjà sorti le barbecue, ici il ne sait pas comment s’habiller. Difficile de lui donner tort. Je le quitte avec un mot de réconfort.

A Pont Triffen l’Aulne nous quitte pour aller vers le nord et laisse la place à l’Hyère. Alors qu’hier c’était la promenade des anglais, aujourd’hui je vois plus de canards que de gens, à part le pêcheur occasionnel; l’un me dit, satisfait, qu’il en a eu deux, il est 9h30.

Après Carhaix les biefs raccourcissent, il n’y a pas plus de 50m entre les écluses. Le chemin chemine entre canal et étang. Il monte vers la ligne de partage des eaux qui sépare les bassins versants de l’Hyère et du Blavet. Alors que je roule depuis Chateaulin avec un 42×13, là je rajoute deux dents (pour le béotien: je rétrograde). J’oublie la difficulté en pensant aux 4000 bagnards qui ont raboté la montagne entre 1820 et 1830 pour creuser la Grande Tranchée de Glomel où j’arrive bientôt.

La Grande Tranchée de Glomel

Après la tranchée vient une descente en pente douce jusqu’à Gouarec où un beau camping me fait de l’oeil; mais comme le héron de la fable je continue ma route, après tout il n’est que 13h30 et il faut faire un détour. Je fonce vers Mûr de Bretagne.