Une grosse sauce de dingue
Cette nuit il a plu. Beaucoup. Ma routeuse de St É, météorologue à ses heures, me le répétait depuis dimanche, « tu vas recevoir une de ces grosses sauce de dingue ». Je ne l’avais pas cru. D’habitude ses prévisions font pshitt!!. Elle souffre d’une sorte de pessimisme météorologique patent. Pas cette fois.
J’aurais du me méfier hier soir en entendant le grésillement sur la toile, mais je n’y ais pas prêté attention.
Je me suis réveillé brutalement vers minuit; une averse carabinée s’abattait sur ma guitoune. Pas cette pluie abstraite qu’on regarde négligemment par la fenêtre en se disant « mieux vaut pas être dessous ». Non, une vraie pluie qui tombe à 20cm du visage. Alors l’esprit se concentre et enregistre chacune des milliers de gouttes qui s’écrasent sur la toile. On vérifie chaque indice qui indiquerait que la pluie s’éloigne.
Ce n’est pas non plus une pluie jouissive qu’on écoute avec plaisir sous la tente, car on sait que la maison n’est pas loin, ou la voiture. Et soudain, une vraie goutte qui mouille s’écrase sur votre front; pour se rassurer on se dit que c’est la condensation mais sans y croire.
Et puis, peu à peu, elle s’affaiblit, s’éloigne; deux heures se sont passées. Fluctuat nec mergitur.
Malestroit, 8h du matin
Je sors de ma tente, surprise! le ciel est bleu. Je me dirige vers le bourg, à 500m, , trouver à manger. Tiens, une ondée, mais je ne vais pas faire comme le cafetier de Pont Triffen. D’ailleurs ça s’est arrêté. Bien sûr de gros cumulus sillonnent le ciel et vont je ne sais où.
Un panneau lumineux annonce une conférence pour vendredi 10 « Amour sacré, amour profane, l’érotisme dans les chapelles »; dommage, j’y aurais bien été, mais je serais loin ce jour là.
Je rentre dans un bar prendre un café. Devant moi un malabar se fait servir un blanc, un autre un demi; mais on se sert la louche entre habitués et inconnus. Allons, tout n’est pas perdu, y a de l’espoir.
Direction Guenouet
J’ai eu le nez creux en différant mon départ ce matin. Il pleut à verse. Tout à l’heure deux cyclistes sont partis; ils testent le matériel sur Lorient-Nantes par le Blavet et le canal, en vue d’un prochain voyage vers Santiago. Ils sont chargés comme des mules. 50kg chacun dans une chariote à deux roues; il y a le rasoir électrique à deux lames, la première qui tire le poil, la seconde qui coupe le poil; le pyjama à double molletonnage; deux tapis de sol (je ne ment pas). Heureusement ils ont un VAE, « mon beauf a fait 230km sur le plat » me dit l’un d’eux et « 100km quand ça monte ». Bon courage pour St Jacques.
Le soleil que c’est bon, quand il vient vous brûler la peau. Du soleil les amis, du vrai, du qui chauffe. Je sais que ça ne va pas durer mais c’est bon à prendre.
Ma météorologue attitrée me prédit des vents de 100km/h cette nuit. Bof, même pas peur.
En attendant j’ai le vent dans le dos, il me donne des ailes. Au pif, j’estime à 25 km/h ma vitesse de pointe. Mon ami D. m’avait dit qu’en Islande, avec la même chariote, il atteignait 50 km/h, en freinant.
Tiens, une aire de picnic sur le bord du canal et une table qui me tend les bras. Je puise une boîte de pâté Hénaff (le pâté du mataf) bi-o dans mes réserves. Comme dirait Georges: « What else? »
Un canal s’est perdu
Depuis Josselin le canal n’a plus le même charme qu’entre Chateaulin et Rohan, mais je ne vais pas cracher dans la soupe, le chemin est bitumé et roulant.
En arrivant à Redon je comprends vite qu’ici je suis personna non grata, cest la bagnole qui tient le haut du pavé. Peu de signalétique, pas de piste cyclable; pour marquer mon dédain je la traverse en chantant « Ya plus qu’trois filles dans l’bourg de R’don, tapent du pied quand l’amour les prend ». Pour se venger la ville me fait faire un détour dans la ZI. J’alpague un pêcheur et lui demande : »c’est par ici le canal de Nantes à Brest? « ! « Ah non, y’a jamais eu de canal qui va à Nantes. Il s’arrête à Nord d’Erdre, j’le sais puisque j’en suis ». « D’accord Monsieur, mais c’est quand même la direction de Nantes? «
Et j’emprunte un chemin « caillouteux, malaisé, et de tous les côtés au sol… » non, stop, il n’y a pas de soleil à ce moment mais un fort vent de face. Je comprends vite qu’ils ne l’aiment pas le canal, d’ailleurs je n’ai pas vu un seul banc public sur 10km alors qu’entre Chateaulin et Carhaix par exemple il y a un banc ou une table tous les 500m. Un triple ban pour 29, 22 et 56. Et non, je ne vous dis pas merci Messieurs de Redon.
Guengouet, ville de toutes les espérances
J’arrive enfin à Guengouet, bourgade dont, avant ce voyage, j’ignorais jusqu’à l’existence. Superbe camping sous les frondaisons; à l’accueil la dame me confirme que c’est bien la faute au département, « on a beau leur dire, ils font rien pour le canal ».
Après l’orage de grêle essuyé cet après midi, l’équipage est dans un état indescriptible. Jamais douche n’aura été plus justifiée; je commence par ma monture, comme de bien entendu, et comme on l’apprend dans les meilleures écoles.
Bien sûr le restaurant est fermé le mercredi; pas de problème, je me contenterai d’une coupelle de fromage devant une bière dans un bar avec de joyeux fêtards; « la mer Noire, c’est où en France », authentique.
Tiens, v’la la pluie! Bof!