Je pars sur la voie express pour Roussé avant que la circulation ne soit trop intense. Roussé, écrit à la française, s’écrit Pyce en cyrillique et Ruse en alphabet latin.
Je contourne Roussé par un boulevard circulaire qui me laisse voir une grande ville moderne de 160k habitants avec son lot d’immeubles décrépits.
Aujourd’hui mon but est Tutrakan, ce qui me fera une petite étape de 80km. J’ai vu qu’il y a un hôtel, ce qui va me permettre de me refaire la cerise avant les 200 derniers kilomètres.
Je m’arrête à Slivo Pole pour me réapprovisionner. Tiens, une vraie boulangerie avec d’appétissantes tourtes au fromage (50cm pièce ) dont j’achète deux. Pleine de bonnes odeurs et de beaux produits. D’ailleurs, il y a la queue.
La route est bonne et peu fréquentée. Elle est bordée de pruniers, d’abricotiers pour les quels j’arrive 15 jours trop tôt.
La région semble plus riche depuis Roussé, les bourgs mieux entretenus et souvent plus actifs.
J’arrive à Tutrakan avant midi. L’hôtel Dunav est à l’entrée de la ville. Je voulais aller au restaurant ce soir mais un gros orage est tombé. Il n’y a plus d’électricité nulle part. Je me contenterai donc d’une boîte de sardines.
Gros orage cette nuit. Les rafales de vent étaient telles que j’ai cru que la tente allait s’envoler. Du coup je me suis autorisé une petite grasse matinée ; jusqu’à 5h.
Je traverse la ville de Nikopol, hideuse, aux bâtiments décrépits, usés, aux rues déformées. Jusqu’à présent la Bulgarie me donne une impression de grande pauvreté, de laisser aller, de décrépitude.
La route jusqu’à Svishtov est parfois bonne, parfois très mauvaise mais peu fréquentée. Les ornières sont pleines d’eau du dernier orage, ce qui me vaut une grosse vague de face quand j’ai le malheur de croiser un camion.
Il est 9h30 quand j’arrive à Svishtov où je m’arrête pour ravitailler ; j’ai fait 55km. Dev Mogili, oú il y a un hôtel, est à 90km; c’est jouable. De toute façon c’est ça ou le camping sauvage.
Pour me faire mentir sur les infrastructures bulgares, je m’arrête à 13h à Cenovo pour déjeuner dans un superbe parc avec bancs, jeux d’eau, qui n’a rien à nous envier. Et sans moustiques.
Je décide de rejoindre Ruse, la grande ville sur le Danube. Un peu loin mais faisable. Malheureusement il y a une série de côtes longues et sévères qui me retardent. À 18km du but je vois un gros orage s’approcher.
Une décision rapide s’impose. Je m’arrête à la première possibilité et plante ma tente entre l’autoroute et un champ de maïs. Il était moins une ; la pluie, le tonnerre mais je suis à l’abri.
Ça me rappelle une scène magnifique dans Dersou Ousala, le film de Kurosawa. Toute proportion gardée. Pour Ruse c’est râpé.
Ils ont attaqué dès ma sortie de l’hôtel. Et ils m’ont accompagné tandis que je poussais mon charroi dans la côte d’Oryahovo. Je parle des moustiques bien sûr.
Il est impossible de s’arrêter pour manger un biscuit sans avoir aussitôt une douzaine de moustiques sur les jambes.
En allant vers Ostrov, Gigen je traverse une campagne vallonnée, couverte de champs de tournesols en fleurs. La végétation luxuriante envahit souvent les bas côtés des routes; on voit toute sorte de fleurs, y compris des roses trémières.
La route peut être parfaite, puis pleine de rustines, puis impraticable. Je m’arrête à Brest faire des courses et, tant qu’à faire, cassecroutter sous un chataigner.
Il me reste grosso modo 500km jusqu’à Constanța. La chaleur est écrasante et les villages vivent au ralenti ; peut être aussi parce que c’est dimanche. J’en profite pour faire une sieste de 2h. Je repars à 15h alors que la chaleur est moins accablante pour arriver à Nikopol à 18h.
Nikopol est port de passage vers Turnu Murugale en face. Pour une fois il y a une pelouse correcte sous les bouleaux, face au Danube. Bien sûr il y a des myriades de moustiques mais j’ai maintenant une stratégie : en montrer le moins possible.
À 19h , extinction des feux.
Après une bonne nuit dans un silence total je pars vers Lom. La route est un patchwork de pièces de macadam de diverses tailles et d’âge divers. Lom à un port qui offre une très belle vue sur le Danube. Tout est immobile, la surface de l’eau, l’air ; des colombes roucoulent.
La route après Lom c’est Paris-Roubais secteur pavé et une grimpette 6-8%. Rien ne me sera épargné ! Il y faut du jarret et du coeur. Après 6km de montée s’amorce une longue descente sur un billard ; je passe le grand plateau.
Un cycliste chargé arrive en face. Je vais vers lui; malheureusement il ne parle qu’allemand. Il a l’air en forme et rentre chez lui. Pardon ? Si je vais retourner en vélo moi aussi ? Vous plaisantez ?
Je croise aussi une cariole tirée par deux chevaux, et embarquant une famille rigolarde.
Déjeuner à Kosloduj; correct pour 5€.
Je poursuis 35km jusqu’à Orjahovo où je prends un hôtel.
Ce matin Bogan s’est aussi levé à 5h pour me faire un café et prendre une photo. Une très bonne adresse.
La Serbie est le pays qui m’est le plus sympathique depuis que j’ai commencé ce voyage. De gros efforts de signalisation de l’EV6 sont faits; on pourrait faire sans carte ! Les deux jours à travers les Portes de Fer sont exceptionnels de beauté. Et les gens sont accueillants, abordables; certainement là oú j’ai le plus « discuté ».
Negotin n’est qu’à 17km de la frontière. Ici aussi il faut passer les deux postes de douane oú le passeport est scruté de près. Tout ça semble légèrement anachronique.
La première ville d’importance est Vidin sur le Danube. Je passe au Lidl y faire quelques courses ; y compris des tomates qui viennent d’Espagne. Les avenues sont larges et ombragée, la circulation réduite ; les immeubles datant d’avant la chute du rideau de fer sont laids et en décrépitude.
Toutes les informations sont en cyrillique, la communication va être une vraie difficulté.
Je prends la direction de Lom en empruntant « l’autoroute » sur 10km ; c’est autorisé mais il faut serrer les fesses, il n’y a pas de BAU. En Bulgarie l’EV6, on ne sait pas ce que c’est ; je n’ai pas encore vu un panneau ; la carte est indispensable.
A Car Simeonovo, un jardin public, des bancs, une table ; il est 12h30, je m’installe sous un cerisier pour déjeuner, le dessert est tout trouvé. Il fait chaud mais supportable ; sur la route passe une voiture de temps en temps ; quatre nids de cigognes qui claquent du bec en surveillant leurs petits.
Je m’arrête à un bistrot de bord de route et commande une bière ; le demi-litre. Je tend un billet de 10lev, ce qui fait environ 5€; on me rend 9 et de la bigaille.
La route vers Lom longe le Danube d’assez près ; parfois celui-ci est à moins de 50m; mais on ne le voit presque jamais ; un épais rideau d’arbres nous le cache.
Vers 16h, comme j’ai un peu de marge pour arriver à la Mer Noire, je décide de faire un détour vers le monastère Dobridolski Manastir et essayer d’y dormir. Il faut emprunter une petite route étroite qui monte dans les bois. Quand j’arrive je rencontre Déan qui semble vivre tout seul.
Nous communiquons difficilement car il n’y a presque pas de réseau. Les cellules et le monastère sont dans un état de décrépitude avancée. Je lui propose de planter ma tente, il accepte.
L’endroit est infesté de moustiques ; situation peut être favorisée par le mouton irascible qui partage les lieux.
Déan est isolé de tout mais il est très connecté ; il me montre son profil face de bouc. Pendant les 3 heures oú nous sommes ensemble sur la terrasse il sera toujours sur son portable, l’orientant désespérément vers une antenne hypothétique ; chassant les moustiques à grands mouvements de bras.
Un second personnage entre en scène. Il ne nous dira pas un mot. Il traverse très lentement la terrasse sur des béquilles ; sa jambe droite est entièrement platrée.
Ce matin le Danube, au pied de la terrasse était comme un lac. Pas une ride ; la lumière du jour lui donnant des reflets irridescents.
Les 20 premiers kilomètres longent le canyon Veli Kazan, le golfe Dubova et le canyon Maliki. Dans les canyons, le Danube n’a pas plus de 150m.
Les falaises, blanches ou boisées, s’élèvent à 300m. Plusieurs tunnels se suivent de 60 à 370m, non éclairés. Le cycliste est prié, à l’entrée du tunnel, d’appuyer sur le bouton qui indique aux automobilistes qu’un fou à 2 roues est quelques part dans le tunnel. Je serre les fesses.
Les vues des gorges au lever du soleil sont extraordinaires.
Est-ce l’effet d’un dopage aux émotions fortes ou celui d’une bonne nuit dans un lit? j’ose l’impensable, grimper une côte de 1km à 10% , suivie d’une autre de 2km à 8%.
J’arrive ainsi à Kladovo à 9h15. Je me dis que cette journée commence bien. Je continue jusqu’à Brza Palanka où j’arrive à 11h45 pour déjeuner sous un arbre au bord du Danube.
Les 30 derniers kilomètres sont faciles. J’arrive à Negotin à 16h chez Bogan qui a installé 2 tentes avec couchettes dans son jardin au centre ville.
Negotin est la fin des Portes de Fer ; désormais le Danube va pouvoir prendre ses aises dans les plaines roumaine et bulgare.
Il y a goulash et goulash
Le soir je vais dîner dans un petit restaurant où on me sert une goulash de rêve. J’en ai mangé plusieurs mais aucune n’arrive à la cheville de celle ci. J’avais commencé par une soupe de boeuf avec des yeux grands comme des soucoupes ; succulente. Le vin du pays, servi frais, est légèrement madérisé.
Je commence par le « lac d’argent » à Ostrovo. La surface du Danube est parfaitement immobile ; quelques pêcheurs; quelques maisons en face, sur la rive roumaine.
Le Danube fait 300m. Le spectacle est enchanteur ; on est dans un autre monde. À 6:15 Le soleil est déjà haut ; il n’y a pas un nuage ; la journée sera belle.
A Golubac le Danube s’étale avant de rentrer dans la gorge. C’est une station balnéaire ; déjà quelques cars de touristes sont arrivés.
La route est taillée dans des falaises 300m; le Danube doit passer dans un goulet de 100m de large.
En fait les Portes de Fer c’est cet étroit passage de 100m que le Danube a trouvé entre les montagnes balkaniques et les Carpathes.
Vers 15h je prends une chambre à Golubinje ; la terrasse surplombe le Danube et le soleil se couchera en face.
L’homme qui m’accueille, Drogan, commence par m’offrir une bière et du café. Nous avons une vraie conversation à l’aide de Google translate. Je serai seul dans la maison cette nuit.
L’arrivée à Belgrade et sa traversée est facile le matin. Le chemin fait le tour de la citadelle.
A cette heure le spectacle sur le Save qui se jette dans le Danube est magnifique.
Suivent 30 minutes suicidaires sur le pont pour passer rive gauche ; le trafic est bouché dans l’autre sens mais très fluide et dense dans le mien. Le trottoir est inaccessible. Il faut serrer les fesses et foncer.
Je continue vers Pancevo par la voie express, couloir des bus. Le trafic est léger.
Une photo-gag qui ne me fait pas rire
A la sortie de Pancevo je prends la piste cyclable, rapiécée, envahie par la végétation. Je m’arrête pour prendre la photo d’un panneau qui dit » Attention chers cyclistes, la piste est pleine de vilaines épines qui percent même les pneus les plus épais. »
Cinq mètres plus loin je dois m’arrêter, pneu à plat. En fait trois trous dans le pneu et cinq épines prêtes à faire des dégâts dans l’autre. Pendant que je réparais un homme s’arrête et m’ouvre le coffre de sa camionnette pour embarquer le vélo ; c’est le vulcanisateur ; un bon business pour Pancevo.
Je continue vers l’Est ; la route est bonne, le trafic raisonnable. J’arrive à Kovin à 12:30. J’avise des bancs à l’ombre de grands arbres ; chouette, je vais pouvoir déjeuner. Je n’y reste pas 5mn, l’endroit est infesté de moustiques. Ne me reste qu’à manger debout dans un endroit venté.
Mon but est de passer de Banatska Palanka à Ram par le ferry ; d’après mes informations le dernier est à 18h. Les 4 derniers kilomètres se font sur une digue herbeuse pleine d’ornières.
J’arrive à 17h et apprend que le prochain ferry est à 19:30. J’en profite pour déjeuner ; plat de viande et frites, salade, pain pita, 2 bières, 2 boules de glace, moins de 9€; sur une terrasse face au Danube ; qui dit mieux ?
Le ferry a du retard ; la nuit commence à tomber à Ram. Aujourd’hui ce sera camping sauvage.
L’orage a éclaté à minuit et il a plu jusqu’à 4h. J’ai eu quelques fuites mineures dans la tente. Au réveil le ciel est voilé.
La traversée de Novi Sad est facile à cette heure. La ville est grande mais ne semble pas avoir de centre. Les immeubles sont laids. Je traverse le Danube pour passer rive droite au pied de la citadelle Vauban.
La route vers Belgrade commence par une côte de 4km à 6% avec la circulation.
La campagne est verdoyante et cultivée et très vallonnée. Par contre on n’y accède que par des chemins empierrés.
Je suis à Cartanovici à 8:45; la route devient défoncée. Puis c’est Novi Sankamen et ses arbres fruitiers à perte de vue. Le Danube est à 1km mais invisible.
Encore un coup de rein jusqu’à Novi Banovci où je déjeune d’une pizza. Enfin le camping à 20km de Belgrade.
Je prends le bus pour passer la soirée à Belgrade et passer chez le vélociste. J’avais une mauvaise image de la ville ; à tort. Là oú la voiture à accès c’est assez invivable mais la ville est construite sur une colline, avec beaucoup d’escaliers donc inaccessible aux voitures.
Beaucoup d’animation dans les rues ; j’avais l’impression que tout Belgrade mangeait en ville ce soir.
J’aurais aussi pu prendre comme titre : une journée à oublier, ou une journée d’enfer.
La journée commence à 4h avec les moustiques. Je n’ai qu’une envie : partir.
Je traverse Osijek endormi et entreprend de traverser des champs de blés sans fin. Mon but étant de passer en Serbie à Bačka Palanka.
A 7h il fait 30° et ça ne va faire qu’empirer. Pas un arbre mais une route droite, sans charme. Le Danube on oublie ; il n’est pas loin mais sur les 120km fait en Croatie jamais je n’aurais l’occasion de l’approcher.
Pour couronner le chemin de croix, une succession de descente à 8% suivie d’une montée aussi raide sur 2km. Au delà de 6% j’ai décidé de mettre pied à terre.
Je passe par Vukovar, ville martyre, sans l’envie d’y faire un tour.
Et je passe donc rive gauche pour atteindre Bačka Palanka à 14h; après avoir eu droit aux deux contrôles douaniers réglementaires. Dire que certains chez nous veulent rétablir les frontières.
Dans ces pays il n’est jamais trop tard pour arriver au restaurant ; il sert non stop à partir de 12h. Je me restaure d’un excellent repas pour la somme astronomique de 8€. Et j’y prends ma première leçon de serbe.
Il me reste 30 km pour arriver à Novi Sad, capitale de la Voivodine. Où je fais du camping sauvage.